Homélie du Père Guy de Lachaux pour le dimanche 14 juin 2020
Fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ
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Ces paroles de Jésus sont dures à « avaler ». Mais on sent bien qu’il y dit quelque chose d’essentiel. Il n’est pas prêt à y enlever quelque chose… si bien que les gens le quittent. Ses disciples qui restent lui disent : « A qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ! » En effet il dit quelque chose d’irrecevable : « Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n’aurez pas la vie en vous ! »
Au sortir du confinement, il est vrai que cette fête est un sacré signe. Après plus de deux mois de confinement où nous avons été privés de ce pain de vie, c’est une fête de pouvoir nous en approcher de nouveau. Mais qu’est-ce qui exactement nous a manqué ? Si c’est la présence du Christ qui nous a manqué, nous avions un tas d’occasions de nous en approcher. L’Evangile nous en donne cinq. Serait-ce donc que nous nous sommes centrés dans notre vie chrétienne sur une seule manière de vivre la présence du Christ : l’Eucharistie ?
Les cinq occasions de faire l’expérience de la présence réelle du Christ sont les suivantes :
La première occasion nous est signifiée par une phrase de l’évangile : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ! » Cela, nous étions gênés à cause du confinement, mais rien ne nous empêchait de nous joindre à quelques-uns sur les réseaux sociaux. Car c’est une présence réelle, aussi réelle que celle de l’Eucharistie.
La deuxième occasion, c’est la fréquentation de la Parole de Dieu. Vous savez que Jean a appelé Jésus : le Verbe, c’est-à-dire la Parole. Et donc fréquenter la Parole… c’est mystérieusement fréquenter le Christ. Et Jean nous dit aussi : « Et le Verbe s’est fait chair ! » Le mot chair est lâché, et cette fois-ci, il ne nous gêne pas. Et pourtant quand il dit dans l’évangile que nous venons de lire « Celui qui mange ma chair a la vie éternelle » ou bien « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » … nous devrions aussi penser à la Parole… qui est bien sa chair !
Alors, pendant le confinement, il nous suffisait de faire sur notre moteur de recherche : lectio divina… et nous avions tout le temps pour apprendre à nous ouvrir à la profondeur de la Parole. Car c’est une présence aussi réelle que celle de l’Eucharistie !
La troisième façon par laquelle le Christ est réellement présent parmi nous est dans ce que l’on appelle « le sacrement du frère » : « Ce que tu fais au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que tu le fais ». Alors là, nous avions l’occasion de le vivre tout au long du confinement, ce que d’ailleurs beaucoup ont fait. Mais il y manquait peut-être une chose : d’avoir ce regard de foi sur ce qui était en train de se passer. Et pourtant, c’était une présence aussi réelle que celle de l’Eucharistie. D’ailleurs, pour raconter la Cène, saint Jean nous raconte le lavement des pieds qui se termine par : « faites ceci en mémoire de moi ».
La quatrième façon par laquelle le Christ est réellement présent parmi nous, c’est quand son Eglise est réunie. C’est ce que saint Paul a appelé : « le Corps du Christ » dans la première épître aux Corinthiens.
Alors là, nous pouvons dire que nous avons été privés de la visibilité du Corps du Christ que nous expérimentons à chaque fois que l’Eglise se rassemble.
« Vous êtes le Corps du Christ » nous dit saint Paul. Quel mystère ! Cette réunion que nous sommes en trains de vivre aujourd’hui, c’est le Corps du Christ… de manière aussi réelle que la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est aberrant d’y participer comme un consommateur : J’y viens, mais je ne parle à personne, et je repars un peu plus tôt pour ne pas avoir à rencontrer d’autres personnes… alors qu’en fait je suis un membre de ce corps et que j’ai à y prendre ma part active car je suis un membre de ce corps.
Et la cinquième façon par laquelle le Christ est réellement présent parmi nous, c’est l’Eucharistie… ce que d’ailleurs les premiers chrétiens appelaient : la fraction du pain. Cela devrait nous orienter sur le type de présence qu’est l’Eucharistie : c’est un pain rompu, c’est un sang répandu… c’est-à-dire que le Christ présent dans l’Eucharistie, c’est le Christ qui se donne, c’est le Christ dans l’acte de se donner à nous, de se livrer pour nous, de répandre son sang par amour, c’est-à-dire que quand nous communions, nous nous unissons à Celui qui est dans l’acte même où il se donne par amour, nous faisons de Lui notre nourriture. Alors, si nous communions au Christ qui se donne par amour, qui se livre tout entier… comment pouvons-nous en sortant vivre sans nous donner nous-même par amour ?
Voilà ce qu’est cette présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie. Qu’il soit bien entendu que c’est un mystère qui nous dépasse complétement.
Quand j’étais enfant, on m’a dit que si je mordais l’hostie, je mordais Jésus… Vous voyez la difficulté qu’il y avait à communier !
Mais si, en mordant l’hostie je ne mords pas Jésus, c’est donc que c’est en même temps une présence réelle et une présence symbolique.
Alors, dans notre petitesse humaine, nous avons essayé d’enserrer le mystère dans des formules rationnelles.
C’est comme cela que les catholiques ont voulu tenir mordicus à la réalité de la présence, et ils ont inventé un mot pour dire ce que devient le pain : la « transsubstantiation », c’est-à-dire que la substance du pain était entièrement transformée en présence du Christ.
Et les protestants, eux, ont plus insisté sur la dimension symbolique de cette présence du Christ, et ils ont parlé de « présence spirituelle » ou de « transfinalisation » !
Mais, les uns comme les autres, nous avons voulu enfermer le mystère dans notre compréhension intellectuelle des choses, plutôt que de l’accueillir comme un océan dans lequel nous n’aurons jamais fini de ramer !
Sachons-le, cette présence eucharistique est un mystère insondable. Plutôt que de vouloir l’enserrer dans des mots, laissons-la nous inonder !
Père Guy de Lachaux