Témoignage : 58 ans que je suis prêtre
Une histoire d’amour ! Cela va en surprendre plus d’un, et pourtant c’est le premier mot qui me vient à l’esprit. Si j’ai décidé d’être prêtre, c’est pour aimer, pour réussir ma vie et ne pas me retourner au soir de mon existence en me disant : "J’ai occupé le temps, mais qu’ai-je construit ? qu’ai-je fait de ma vie ?"...
Il m’a semblé que deux lieux pouvaient y donner sens : Le premier, c’était "la rencontre de l’humain et du divin" … et le second, c’était de "servir" ! Pour être honnête, j’ai d’abord choisi le deuxième et ensuite, c’est le premier qui s’est imposé à moi. Et il s’est même tellement imposé que je peux affirmer aujourd’hui que j’ai vécu ces 58 années avec "Dieu dans la peau »… non pas comme un amoureux de premiers jours, mais avec quelqu’un qui venait toujours me chercher pour reprendre la route.
Mais en 58 ans, quelle révolution ! Je suis passé du train à vapeur au TGV, du télégramme acheminé par porteur au SMS et à WhatsApp. Nous ne sommes plus dans le même monde. L’ancienne Église, celle dans laquelle je me suis engagé a disparu ; elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.
J’ai été prêtre de la dégringolade d’une Église triomphante, qui régnait sur la société et avait la prétention d’en gérer les comportements, à la lente naissance d’une autre Église, plus humble et plus vraie, plus proche de l’homme, plus évangélique. Mais par quelles morts lui faudra-t-il encore passer pour en arriver là ? Car c’est bien d’une mort qu’il s’agit, mais à nous chrétiens, cela ne nous fait pas peur depuis qu’il est sorti du tombeau !
J’ai vécu 58 années de lente baisse des effectifs de l’Église, mais j’affirme aujourd’hui que cela a été 58 années au cours desquelles une autre Église était en train de naître. J’ai toujours eu au fond de ma mémoire la phrase du cardinal Marty : "Ne soyez pas de ceux qui regardent les murs qui s’écroulent et qui n’aperçoivent pas les petites fleurs qui poussent au pied !"
A première vue, ma vie de prêtre est un échec, et même un échec cuisant. Mais j’ose néanmoins affirmer qu’elle a participé, avec beaucoup d’autres, à permettre à une Église puisant sa source dans l’Évangile de voir le jour.
Pour le dire autrement, je résumerais ma vie de prêtre de la façon suivante :
J’ai commencé avec le désir d’être le "gardien du Temple".
Il fallait "sauver Dieu" de l’indifférence ambiante, des caricatures intolérables de Dieu qui circulaient, de la "religion" et de ses règles. Et c’est alors que je me suis aperçu que pour sauver Dieu, il fallait "sauver l’Église". Alors je me suis lancé à corps perdu dans ce que l’on appelait "les communautés de base", ces petites communautés de chrétiens à l’image des premières communautés chrétiennes, les paroisses semblant être de "grands vaisseaux à messes" ne reflétant plus le «regardez comme ils s’aiment» des communautés réunies au nom du Christ. Puis, face à la difficulté de cet idéal d’Église, je me suis dit qu’il fallait, au nom du Christ, "sauver l’homme", surtout le plus pauvre. Curé de paroisse, j’ai accueilli des "collectifs de sans-papiers", des "grèves de la faim", et c’est à ce moment-là aussi qu’a commencé ce lent accompagnement des personnes divorcées et divorcées remariées…
Mais à vouloir être le "sauveur", je me suis douloureusement effondré !
Un an au Pérou et la venue sur le diocèse d’Évry m’ont permis une profonde transition. Je n’étais pas le sauveur, mais un serviteur humble et fragile de Celui qui a sauvé le monde, Jésus le Christ ! Ma foi s’est alors approfondie et aussi ma manière d’être prêtre. Dieu est devenu le centre de ma vie et de mon activité. J’ai alors découvert de l’intérieur son amour immense, son amour "immérité, inconditionnel et gratuit". Je n’étais plus le centre, mais l’heureux bénéficiaire de Celui qui est la source de toute vie. Oui, ma vie avait une source. Elle était en Dieu !
Ma vie de prêtre : une une histoire d’amour… vous ne trouvez pas !
Guy de Lachaux