Homélie du Père Séverin Gakpe du 23 et 24 février 2019
Septième Dimanche du Temp Ordinaire C
"Jésus les aima jusqu'au bout" (Jean 13,1)
La première lecture, le psaume et l’évangile de ce jour nous invitent à la miséricorde, non pas une miséricorde virtuelle ou hypothétique, mais bien une miséricorde réelle, concrète, vécue ici et maintenant...
En effet, l’épisode de la rencontre entre Saül et David nous montre bien ce qu’est la miséricorde. Rappelons que les deux protagonistes étaient en contexte de guerre. David dont la renommée grandissait était poursuivi par Saül qui jalousait le jeune, parce que celui-ci finissait par faire ombrage à son autorité, et à son honneur. En contexte de guerre, les ennemis en présence ne se font pas de cadeaux. C’est celui qui parvient le premier à surprendre et à abattre l’autre qui remporte la victoire. Vous en avez fait l’expérience, ici en France, à maintes reprises. Vous comprenez donc le raisonnement d’Abishaï, compagnon de David, qui lui dit : « aujourd’hui, Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup » (Première lecture). C’est la logique de la guerre.
A cette logique, David oppose une autre, celle de l’amour qui se manifeste dans la miséricorde. Cette logique commence par découvrir l’autre en face, non pas d’abord comme un ennemi, mais comme un homme, homo, aimé et voulu par le Dieu qui l’a créé, lui, comme il m’a créé, moi. L’autre et moi sommes, tous les deux, issus du même amour créateur. Autrement dit, l’autre en face est aimé par Dieu, tel qu’il est, tout comme je suis aimé par le même Dieu, tel que je suis. Par ailleurs, Nous, chrétiens, sommes tous des oints de Dieu. Le jour de notre baptême, nous avons été oints de l’huile du saint chrême, alors que le célébrant prononçait ces paroles fortes :
« Tu es maintenant baptisé(e) ; le Dieu tout puissant, Père de Jésus, le Christ, notre Seigneur, t’a libéré(e) du péché et t’a fait renaître de l’eau et de l’Esprit Saint. Désormais, tu fais partie de son peuple, tu es membre du corps du Christ et tu participes à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi. Dieu te marques de l’huile du salut, afin que tu demeures dans le Christ pour la vie éternelle ».
C’est ainsi que le raisonnement de David prend sens : « Ne le tue pas, qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction de Dieu ? »
Nous sommes des oints de Dieu mais aussi, de par notre baptême, des membres du corps du Christ. Supposez un instant que votre main gauche décide de combattre votre main droite, ou que votre œil droit veuille se désolidariser de votre œil gauche… Comment vivriez-vous cela ?
L’on comprend que le Christ, dans l’évangile, nous invite à vivre, entre nous et à l’égard de tous, cette miséricorde qui permet le vivre ensemble.
En nous demandant d’aimer nos ennemis, le Christ sait bien, qu’il ne nous appelle pas à quelque chose de facile. Mais il sait aussi que notre propre bonheur passe par là. Cette demande du Christ est une invitation à vivre, au quotidien de nos vies et de nos existences, cet amour sans lequel nul ne peut ni être heureux, ni s’épanouir vraiment. Souhaiter du bien à ceux qui nous maudissent, ce n’est pas une partie de plaisir, et l’on ne peut y parvenir, que si l’on regarde l’autre avec les yeux mêmes de Dieu, ce Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, ce Dieu qui nous a tellement aimés qu’il a livré son Fils unique pour que nous soyons sauvés.
Ne l’oublions pas, Ce Jésus qui recommande l’amour des ennemis sait que c’est par amour qu’il est descendu du ciel pour sauver, non pas des hommes justes, mais bien des pécheurs. Il est, ce Jésus, l’expression vivante de l’amour vécu à l’extrême, pour donner vie et bonheur aux hommes qui, par leurs péchés, se sont faits ennemis de Dieu.
Chers amis, aujourd’hui, dans nos familles, nos lieux de travail et de vie, la rancune et la haine se sont faits maitres. Des familles, de plus en plus nombreuses, sont divisées, ne se parlent plus, ne s’entendent plus. Et lorsque vous y regarder de bien près, vous remarquerez que, très souvent, ce qui est à la base de ces disputes interminables et de ces haines mortifères, c’est des non dits, des propos mal compris. Dans nombre de cas, il s’agit de questions d’héritages et de succession. Parfois, il eut suffi de s’asseoir, de discuter et d’échanger sereinement. Or, comme nous sommes dans un monde où chacun estime que lui et lui seul a raison, c’est-à-dire que l’autre a obligatoirement tort, toute négociation devient impossible : ou ça passe, ou ça casse… Et ça finit par casser.
Plusieurs divorces sont aussi expression de ce refus de miséricorde. C’est avec amertume que l’on entend parfois des personnes affirmer, avec une fierté déconcertante : « Je ne pourrai jamais lui pardonner ce qu’il m’a fait ». Et pourtant, le pardon est un remède, non seulement pour celui à qui on le donne, mais aussi et surtout pour celui qui le donne. Car le pardon, est un chemin de reconstruction.
Pour pardonner, il convient de se faire tout petit, tout humble. Et c’est là un autre problème. L’humilité est perçue comme une faiblesse dans notre société où les pauvres et les faibles n’ont plus de place, sinon pour être écrasés. Et pourtant, estimer les autres supérieurs à nous-mêmes, ouvre un espace de rencontre, de cheminement, de pardon et de vie harmonieuse.
Le temps est peut-être venu de réfléchir sur notre vie, sur nos relations. Le temps est sans doute venu de nous remettre en question, afin de faire le choix, le bon, qui nous permette de vivre en harmonie avec notre foi, cette foi qui se manifeste dans l’amour que nous devons avoir les uns pour les autres, et d’acquérir la paix du cœur qui est source de bonheur.
Concrètement, nous pourrions commencer par faire le point en nous-mêmes, pour voir quelles sont les personnes qui ont besoin de notre pardon, et les personnes dont nous avons besoin du pardon. Il suffit, pour cela, de prendre une feuille de papier, d’y tracer une ligne verticale au milieu pour faire deux colonnes : à gauche, écrire les noms des personnes à qui nous devons pardonner et, à droite, les noms des personnes à qui nous devons demander pardon. Il nous faudra ensuite chercher et trouver à la fois le moment favorable à une démarche de réconciliation, et les gestes les plus appropriés.
Que la Vierge Marie, Mère de la Miséricorde vienne à notre secours : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort, amen ».
Séverin Mawulolo GAKPE
Prêtre des Ulis
Homélie des messes à Bures et aux Ulis les 23 et 24 février